L’incidence négative du confinement sur la stabilité familiale

Dimanche, Avril 19, 2020

Le deuxième webinaire organisé par la Fondation Kemet Boutros Ghali (KBG) en collaboration avec l'Institut Al-Ahram portait sur l'impact du confinement sur la paix et la stabilité familiales.

Le président de KBG, Mamdouh Abbas, prédit que la pandémie aura des effets durables sur les familles. En plus d’exacerber la peur, l’anxiété et le stress financier, la COVID-19 met à l’épreuve la capacité des services de santé et des services sociaux à établir des liens avec les victimes de violence et à les soutenir. De nombreuses victimes se retrouvent isolées dans des foyers violents, sans accès à des ressources ni à leurs réseaux de proches.

 

Selon l’ambassadeur Moushira Khattab, directrice exécutive de KBG, il est de notoriété publique que les membres de la famille commettent la plupart des violences contre les femmes, et en temps de crise, le nombre de cas a tendance à augmenter. Elle a également fait référence à la déclaration faite par le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Gutierrez, lorsqu’il a déclaré que "les femmes ne sont pas en sécurité chez elles parce qu’elles sont piégées avec des partenaires violents." Il a exhorté tous les gouvernements à considérer la violence infligée aux femmes comme un élément clé de leurs plans d’intervention nationaux. L’augmentation de la violence interpersonnelle en période de crise est bien documentée. Mais la sous-déclaration généralisée a rendu la collecte de données difficile, car il est estimé que moins de 40 % des femmes victimes de violence cherchent de l’aide ou signalent le crime commis. Parmi les femmes qui demandent de l’aide, moins de 10 % font appel à la police.

 

La pandémie a le potentiel de continuer à marginaliser les survivants de la violence familiale, qui ont désespérément besoin de soutien, dans le contexte de ce qui pourrait devenir la crise économique mondiale la plus importante de l’histoire moderne. Pour faire face à cette nouvelle réalité, les gouvernements, les ONG et le secteur privé doivent intégrer une perspective des droits de la personne et de l’égalité des sexes dans leurs réponses à la COVID-19 et leurs structures de financement. Le professeur Moez Doraid, Directeur régional d’ONU Femmes, a mis en lumière les dimensions du problème au Moyen-Orient. Selon lui, la région de la Méditerranée orientale a la deuxième plus forte prévalence de violence contre les femmes dans le monde, avec un taux de 37%. Cela est dû aux systèmes structurels qui maintiennent les inégalités entre les sexes à différents niveaux de la société, cristallisées par les crises politiques et l’instabilité socioéconomique dans la région. Les premières informations provenant de deux pays font état d’une augmentation de 50 à 60% des cas, sur la base des appels à l’aide des survivantes aux organisations pour femmes.

 

L’Ambassadrice Naela Gabr, chef du Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, a déclaré qu’une attention particulière devrait être accordée aux groupes les plus vulnérables, y compris les femmes vivant dans les zones rurales. Ces femmes courent un risque accru de violence familiale et peuvent faire face à d’autres obstacles pour obtenir les services dont elles ont besoin, en raison des couvre-feux et de la distanciation sociale ou des restrictions sur les déplacements. Les femmes qui s’expriment se tournent surtout vers leur famille et leurs amis plutôt que vers la police. Elle a ajouté que le manque de réponse judiciaire efficace à leurs accusations contribue à leur découragement.

 

Mme Amal El-Dousary, membre du Comité des Nations Unies des droits de l’enfant, a fait la lumière sur les problèmes rencontrés par les enfants pendant le confinement. Elle s’est avouée préoccupée par la santé psychologique des enfants durant cette période. Elle a déploré que la nouvelle approche éducative en ligne adoptée par les gouvernements ait rendu difficile l’accès à de tels services pour les enfants pauvres, en particulier les filles. 

 

Mohamed Fayek, président du Conseil national des droits de l’homme, a souligné l’urgence pour le gouvernement de rouvrir l’économie et d’accélérer le processus de production. Les gouvernements devraient assumer une partie du lourd fardeau économique du confinement, qui a eu des répercussions négatives sur plusieurs secteurs de la société. Il a ajouté que la pandémie a démontré la vulnérabilité du concept de mondialisation. Il a néanmoins salué les efforts inlassables déployés par les équipes médicales à l’échelle mondiale, en particulier dans les pays aux systèmes de santé précaires. 

 

M. Amre Moussa, ancien secrétaire général de la Ligue arabe, a soulevé une question importante que les responsables des Nations Unies se doivent d’examiner. Il a dit que les Nations Unies devraient placer les pandémies, les changements climatiques et les changements démographiques en tête de leurs priorités. Moussa estime que ces questions doivent être considérées comme des menace envers la paix et la sécurité mondiales par la Charte des Nations Unies. 

Sur la question de violence domestique, Moussa, qui a dirigé une équipe d’experts en Egypte pour élaborer la constitution de 2014, a déclaré que les femmes en Egypte devaient se battre pour les droits qui leur sont conférés par la constitution.

Malheureusement, la violence conjugale est encore tolérée par beaucoup en Égypte. Moussa a demandé aux fonctionnaires de mener des enquêtes couvrant les trois derniers mois pour observer scientifiquement la montée de la violence domestique, le nombre de cas de divorce, et le taux de fécondité. De telles études montreront les répercussions du confinement sur les femmes, les enfants et les hommes, et elles fonctionneront aussi, si elles sont prolongées d’un an, comme base pour comprendre l’ère de l’après-COVID-19, a-t-il ajouté.

 

Le professeur Hoda Badran, présidente du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies à Genève et de la Fédération des femmes égyptiennes, a souligné le lien entre les répercussions locales et internationales du confinement.

« Les membres du Conseil de sécurité de l’ONU sont les producteurs mondiaux d’armes et de stocks militaires destructeurs. Les armes ne sont pas vendues pour le développement mais pour la destruction, et les pays arabes sont devenus la plaque tournante de cette stratégie », a-t-elle ajouté. 

Pour créer un environnement plus pacifique et plus sûr pour les femmes et les enfants en Égypte, Mme. Badran a déclaré que les droits des femmes, tels qu’ils sont énoncés dans la Constitution de 2014, devraient se traduire par des lois et des procédures juridiques efficaces pour les protéger.

 

Selon M. Sabri Othman, directeur de la ligne d’assistance pour la sécurité des enfants, l’accumulation de données indique que la violence familiale se propage dans les conditions créées par la pandémie. Au premier trimestre de 2020, le nombre d’appels reçus par le Conseil national pour la maternité et l’enfance a considérablement augmenté. La ligne d’assistance a reçu 74 appels au sujet de la violence familiale, 974 plaintes de violence envers les enfants et 843 cas de violence sexuelle, en plus des affaires judiciaires.

 

Le professeur Fatma Khafagy, membre de l’Association des femmes arabes, a déploré le fait que la plupart des femmes en Égypte en savent peu sur les lignes d’urgence et les services offerts. La plupart des associations pour femmes souffrent d’un faible financement, surtout en ce qui concerne l’offre de refuges. Selon le professeur Khafagy, les gouvernements devraient établir des refuges gérés par des organisations de la société civile, avec des membres bien formés capables de traiter les femmes maltraitées par leurs partenaires.

 

Le professeur Howaida Moustafa, doyenne de la faculté de média à l’Université du Caire, estime que les média locaux jouent un rôle vital dans la sensibilisation des gens à la pandémie et dans les mesures prises pour se protéger. Cependant, les conséquences économiques du confinement, et sa signification pour des femmes prises au piège dans leur maison avec des partenaires violents, restent à souligner. Les médias devraient faire plus d’efforts pour créer une culture d’harmonie sociale, de sécurité et de tolérance.

 

Amal Fawzy, rédactrice en chef de 'Nesf el-Donia', un magazine pour femmes publié par l’Institut Al-Ahram, a déclaré que le magazine a travaillé sur plusieurs questions traitant de la violence parmi les membres de la famille. Pendant le confinement, le magazine a signalé une augmentation du nombre de cas de divorce, ainsi que de la violence ciblant les femmes. 

 

Enfin, M. Hany Asal, rédacteur en chef adjoint du quotidien Al-Ahram, a évoqué le problème des personnes âgées. En raison des mesures restrictives imposées, de nombreuses personnes âgées se sont retrouvées sans gardien, isolées, et sans accès à des soins de santé adéquats. Il s’agit là d’une autre question de société que le gouvernement et la société civile doivent aborder de toute urgence.