La montée des mouvements populistes de droite et l’avenir des alliances internationales
La conférence a été ouverte par M. Mamdouh Abbas, président de la Fondation Kemet Boutros-Ghali, qui a souligné, dans une allocution via l’application Zoom, que l’ascension rapide de l’extrême droite ou de la droite populiste en Occident s’est transformée d’un phénomène marginal de partis protestataires aux discours extrémistes en une force politique majeure, rivalisant avec les partis de la majorité traditionnelle, et accédant même au pouvoir dans certains pays européens. Aujourd’hui, ces partis occupent une part significative et influente des sièges au Parlement européen.
M. Abbas a précisé que, bien que les formes de l’extrême droite diffèrent selon les contextes propres à chaque pays, elles partagent des caractéristiques communes, notamment un nationalisme exacerbé, le rejet de toute forme d’intégration régionale sous prétexte de protection de la souveraineté nationale, une obsession pour la question migratoire et une rhétorique alarmiste selon laquelle l’Europe est en train de perdre son identité, notamment en raison de l’immigration massive en provenance de pays musulmans. Il a également mentionné leur hostilité envers la mondialisation, les institutions internationales, les accords de libre-échange, ainsi que leur appel à adopter des politiques de protection économique.
Il a ajouté : « Il est désormais clair qu’il existe des alliances internationales entre ces courants, dépassant les frontières nationales. Nous avons vu le soutien de Trump, Vance et Musk à la dirigeante de l’extrême droite française, Marine Le Pen, après sa condamnation par la justice française et son interdiction de se présenter à l’élection présidentielle de 2027. Trump a qualifié cette décision judiciaire de "chasse aux sorcières". Musk a également soutenu fortement le parti d’extrême droite lors des dernières élections en Allemagne, et le vice-président américain a même appelé les partis allemands à ouvrir la voie à une participation de l’extrême droite au gouvernement. »
M. Abbas a poursuivi : « Pour la première fois, le gouvernement israélien d’extrême droite a invité un dirigeant du Rassemblement National ainsi que des personnalités de l’extrême droite française — historiquement connues pour leur antisémitisme — à participer à la Conférence internationale de lutte contre l’antisémitisme, qui s’est tenue à Jérusalem occupée les 26 et 27 mars derniers. Cette démarche sans précédent a été marquée par des références à un prétendu héritage judéo-chrétien commun. »
Il a noté que cet événement ne constitue pas un tournant dans la politique israélienne, mais plutôt la confirmation d’une orientation en développement depuis plusieurs années. Les relations entre le gouvernement Netanyahu et ces partis se sont renforcées, et le soutien à Israël est devenu une pierre angulaire du nouvel extrême droite international. Dans ce contexte, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a invité Netanyahu à Budapest ce mois-ci, en réponse au mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale contre ce dernier. Orbán cherche ainsi à renforcer ses liens avec le lobby sioniste aux États-Unis afin de consolider son pouvoir.
M. Abbas a également souligné que certains partis d’extrême droite en Europe sont les héritiers directs des partis nazis et fascistes ayant gouverné entre les deux guerres mondiales, accusés d’être responsables de massacres contre les Juifs. Il est paradoxal que ces mêmes partis soient aujourd’hui les plus fervents soutiens d’Israël dans ses actions à Gaza. Il a insisté sur le fait que ces courants, que l’on considérait autrefois comme des phénomènes internes aux sociétés occidentales, exercent aujourd’hui une influence transnationale, touchant directement notre région, ce qui exige une étude et une compréhension approfondies.
Dr Samir Morcos, écrivain et penseur, a affirmé que les déclarations récentes du président américain, selon lesquelles les navires américains devraient pouvoir emprunter gratuitement les canaux de Suez et de Panama, reflètent la logique controversée qui caractérise Trump depuis son arrivée au pouvoir.
Morcos a examiné les transformations au sein de la société américaine sous ce qui pourrait être un second mandat Trump. Il a indiqué que le "phénomène trumpiste" ne cherche pas à promouvoir un modèle culturel ou des valeurs américaines, mais raisonne comme un homme d’affaires : « Si je fais ce geste, qu’est-ce que j’y gagne ? » Ce qui importe pour Trump, ce sont les gains géopolitiques, comme ceux qu’il a récemment tentés avec l’Europe et la Russie.
Il a rejeté l’idée selon laquelle le soi-disant « courant trumpiste » serait transatlantique. Il a rappelé que dans un discours prononcé à l’OTAN il y a un mois, le vice-président américain Vance a fortement attaqué la démocratie européenne traditionnelle. Dans ce contexte, les divergences entre l’Europe et les États-Unis pourraient représenter un obstacle aux ambitions de Trump.
Morcos a également indiqué qu’il existe une transformation qualitative en Europe, bien qu’elle ne se soit pas encore concrétisée par une influence réelle au sein des institutions, comme le Parlement européen. Il a reconnu l’émergence de nouveaux mouvements citoyens, bien qu’ils ne remettent pas encore en cause les traditions historiques de l’État européen. Il a qualifié ce mouvement citoyen d’interclasse, intergénérationnel, interculturel et non genré.
Il a également insisté sur le fait que l’Europe traverse une phase de redéfinition de nombreux concepts, refusant de réduire la notion de populisme à l’hostilité envers les migrants. Il y a un rejet plus large des élites et des institutions fondées après la Seconde Guerre mondiale.
Morcos a retracé les étapes de l’évolution du populisme, depuis le XIXe siècle, en passant par la période de l’entre-deux-guerres, la fin du XXe siècle, jusqu’à ce qu’il appelle le populisme "anti-totalitaire". Il a affirmé que le populisme actuel, apparu vers 2007, est le résultat de conditions économiques et politiques, dans un contexte de déséquilibres profonds dans les structures politiques et syndicales.
Amr El-Shobaki, écrivain, penseur politique et conseiller au Centre Al-Ahram d’études politiques et stratégiques, a rejoint Morcos dans son analyse des déclarations de Trump sur le canal de Suez. Il a souligné que ces propos illustrent la logique trumpienne, qui doit être prise en compte lorsqu’on évalue ses décisions imprévisibles. Il a mis en garde contre une lecture simpliste selon laquelle il suffirait d’être allié ou non des États-Unis pour anticiper ou éviter les conséquences de telles décisions. Il a également rappelé les récentes déclarations de Trump concernant la réinstallation des Palestiniens dans le Sinaï.
El-Shobaki a souligné que les mouvements populistes souffrent d’une attitude arrogante, mais restent fondamentalement pragmatiques. Il a estimé que les institutions créées après la Seconde Guerre mondiale, telles que la Cour internationale de justice ou la Cour pénale internationale, souffrent de sélectivité et d’inefficacité.
Il a également retracé l’évolution de la droite populiste, rappelant qu’à ses débuts elle était en marge du courant dominant, mais qu’elle est devenue progressivement partie intégrante du paysage politique, notamment en Europe, avec une normalisation de ses idées et la domination du débat public par son agenda.
El-Shobaki a noté que l’augmentation du nombre de migrants, notamment en France, a conduit à une montée des discours d’extrême droite axés sur l’ethnicité et la race. Il a cité l’ouvrage La grande tyrannie, dans lequel l’auteur prévoit que d’ici 30 à 50 ans, la France et certains pays européens pourraient devenir des républiques islamiques en raison des changements démographiques. Il a noté que les partis d’extrême droite qualifient même les migrants d’"envahisseurs".